Découvrir sans les yeux...
Scientifiquement, la vue est celui des cinq sens qui nous apporte le plus de renseignement à la seconde. Voilà qui explique pourquoi nous en faisons bien volontiers, l'un des plus précieux que nous possédons. Il faut reconnaître que c'est un moyen très pratique pour découvrir le monde qui nous entoure. Il n'est pas indispensable à la vie, mais il la rend nettement plus agréable. Source d'enrichissements, d'émerveillements, d'apprentissages, de plaisirs, de curiosités parfois avec les "illusions d'optique", il est difficile de penser qu'on puisse choisir de ne pas regarder ce qui est à portée de vue - sauf dans le cas évident où il y a impossibilité physique. Et pourtant...
Je veux bien croire que la vue nous joue des tours parfois.
Avez-vous remarqué que lorsqu'on entend quelqu'un parler sans le regarder, on s'en fait une idée mentalement. Plus on l'écoute, plus cette image s'affine grâce aux nouveaux détails que l'on perçoit. Au bout d'un moment, on a en tête une représentation plus ou moins claire de la personne.
J'oserai dire que cette construction est le fruit inconscient de l'état de notre psychisme. Comme chaque personne est différente, chacun a sa propre représentation mentale. On peut toujours s'amuser à les comparer, on trouvera facilement des différences entres les unes et les autres.
Cet exercice est bien connu des lecteurs. En lisant un récit quelconque, on se fait, sans en être conscient, une visualisation mentale de la scène, des lieux, des couleurs, de l'ambiance. Si le texte est détaillé, l'imagination est aidée, dirigée. Si, au contraire, les descriptions sont succintes ou le tableau grossièrement brossé, notre imagination, elle, ne s'en contente pas et comble ce manque automatiquement, rajoutant à son gré des détails qu'elle invente.
Mais revenons à l'exemple le plus frappant : le contact humain.
Prêtez attention à l'expérience que l'on fait tous les jours. Lorsqu'on parle au téléphone avec une personne que l'on n'a jamais vue, suivant sa façon de parler, sa façon de réagir, ses intonnations, le choix de ses mots etc... on s'en fait une certaine image. Plus on aura de contact avec cette personne, plus la relation évoluera, devenant suivant les cas, plus sympathique, familière ou complice (dans le meilleur des cas), intimidante voire sans intérêt (dans le pire des cas), ou bien entre ces deux extrêmes, cordiale et respectueuse.
Maintenant arrive le moment où l'on a l'occasion de rencontrer cette personne, et donc de la voir. Eh bien, on est souvent surpris, agréablement ou pas. En tout cas il y a fort à parier que la réalité soit différente de ce qu'on pensait. Par la suite, la relation se reconstruira ou se complètera parce qu'elle sera influencée par la vue.
Tout ceci s'expérimente également à travers l'écriture. Cette forme d'expression a l'avantage d'être réfléchie, donc elle gagne en justesse ce qu'elle perd en spontaneité. Dans l'expérience qui nous intéresse cela se traduit par une différence entre la personne imaginée à travers ses écrits et celle que l'on découvrira en direct au téléphone par exemple, et qui sera, à son tour, différente de celle que l'on verra face à face.
L'inverse est aussi vérifié. Quand j'étais petit, j'observais les gens de loin en attendant près du caddie, au supermarché. Je les voyais bouger, parler, mais je ne les entendais pas. Lorsque je passais à côté j'avais un complément d'information: les voix, les intonnations... et les pesonnes me paraissaient autres.Il en est de même lorsqu'on est devant la photographie de quelqu'un. On s'imagine qu'il est d'une certaine manière et l'on est surpris de le découvrir légèrement différent à l'occasion d'une rencontre.
Et tout ça pour en venir à quoi ?
Eh bien au choix que j'ai mentionné au début. Choisir - du moins pendant un certain temps et dans certains cas - de ne pas regarder ce qui est à portée de vue afin de garder l'image que l'on en a. Ne pas permettre ainsi à la vue d'influencer notre appréciation et, par conséquent, notre relation. Dès lors, la personne reste dans notre esprit celle que nous imaginons. Elle est telle que nous voulons , inconsciemment, nous représenter.
Charly...